L'Organisation afghane des droits de l'homme et de la démocratie (AHRDO), partenaire de l'ICTJ, a récemment ouvert un nouveau musée virtuel et une nouvelle base de données dédiée aux victimes afghanes du conflit et des violations des droits de l'homme. "La Maison de la mémoire de l'Afghanistan" préserve non seulement la mémoire de ces victimes, mais contribue également à ouvrir la voie à la vérité et à la justice. Pour lancer le musée virtuel, l'ICTJ et l'AHRDO ont organisé conjointement une table ronde sur la mémorialisation dans le bureau de l'ICTJ à New York en décembre dernier. La journaliste de la BBC Lyse Doucet a moderé le panel, qui comprenait le directeur de l'AHRDO Hadi Marifat, l'expert principal de l'ICTJ Ruben Carranza, la victime de la guerre afghane Yaser Qubadian et Thomas Seibert de Medico International.
"En plus de 40 ans de guerre, il y a eu de nombreuses années douloureuses, mais les dernières années ont été extrêmement douloureuses pour beaucoup de personnes", a déclaré Lyse Doucet. "Et c'est vraiment bien maintenant de voir des gens émerger, Afghans et non-Afghans, et être plus proactifs, trouver de l'énergie et de la détermination, encore une fois, pour faire face à ces problèmes."
Musée virtuel et base de données centreé sur les victimes, la Maison de la mémoire de l'Afghanistan agit comme un référentiel sécurisé d'informations qui préserve les histoires individuelles des victimes et des survivants. Il comprend des documents gouvernementaux, des photos et d'autres sources de données, ainsi que des images d'objets personnels des victimes que leurs proches ont collectés et donnés à l'AHRDO. L’un des principaux objectifs est de montrer le visage humain et la dimension de ces victimes, et qu’elles sont bien plus que de simples chiffres ou données. Pour les Afghans du monde entier, il offre un lieu pour honorer ceux qui ont perdu la vie, réfléchir et trouver une forme de guérison.
"C'est la continuation du travail que nous avons effectué en Afghanistan", a expliqué Hadi Marifat d'AHRDO. "L'objectif n'a pas changé de manière significative par rapport à celui du centre [d'AHRDO] pour la mémoire et le dialogue à Kaboul. Même si cette plateforme est désormais numérique [et] nous étions jusqu'ici en exil... [nous] avons toujours essayé de préserver et d’honorer la mémoire des victimes de la guerre et de promouvoir le souvenir parmi les communautés afghanes à la fois à l’intérieur de l’Afghanistan, mais aussi [ceux] en exil et dans les communautés de la diaspora."
La Maison de la mémoire de l'Afghanistan vise également à contribuer à tout processus de justice transitionnelle présent ou futur. Sa collection de documents et d’objets peut servir de preuve de crimes commis et de témoignage d’expériences vécues dans un certain nombre d’initiatives formelles ou informelles liées à la justice, notamment les procédures criminelles, la recherche de la vérité, les réparations et d’autres campagnes de sensibilisation du public et de commémoration. En numérisant les sources d'information, l'AHRDO les a également mieux préservées pour pouvoir être utilisées dans de tels efforts dans un avenir proche ou dans les générations à venir.
Les panélistes ont discuté des décennies de violence en Afghanistan et des innombrables violations des droits de l'homme perpétrées contre le peuple afghan. Reconnaissant les énormes défis que représente la recherche de la responsabilité criminelle dans les circonstances actuelles avec les talibans au pouvoir, les panélistes ont souligné la valeur d'autres formes de justice qui favorisent la guérison collective et offrent réparation aux victimes.
L'intervenant Yaser Qubadian a partagé son histoire en tant que survivant d'un attentat suicide et frère de l'une des victimes décédées dans la même attaque (sa sœur alors âgée de 14 ans). Son témoignage a été un puissant rappel de la gravité de ces violations et de leurs droits à réparation et à la justice.
" [Ma sœur et moi avons été] élevées comme orphelines. Mon père [a été tué par] les talibans le 26 février 2006, alors que j'avais 3 ans et que [ma sœur] n'avait qu'un an. [Ma sœur et moi] étions amis, nous étions comme un père et une fille, et même parfois des camarades de classe pensaient que nous étions de père et fille", a-t-il raconté. "[Revenir] à ces souvenirs devient parfois très difficile pour moi, mais ce que je crois, c'est que ce sont ces expériences qui m'ont guidé tout au long de mon trajet et qui me guideront tout au long de ma vie. Des expériences si guideront mon travail, pour éviter la répétition de ces situations."
"Il est important de se rappeler que la justice ne consiste pas seulement à punir ou à poursuivre et à présenter des preuves contre les coupables, [puisque] parfois cette forme de justice ne peut être pas disponible", a souligné Ruben Carranza de l'ICTJ. "Nous travaillons à la recherche de la vérité. Nous travaillons avec et pour les victimes et les survivants afin d’obtenir réparation pour la douleur, la perte, la souffrance et la tristesse qu’ils subissent. Il est important de le reconnaître. Et les réparations ne sont pas une punition ou des poursuites, mais elles constituent [toujours] une forme de justice."
Les initiatives de documentation et de commémoration telles que la Maison de la mémoire de l’Afghanistan ne contribuent pas seulement à affirmer la dignité des victimes et à préserver leur mémoire, mais elles constituent peut-être la meilleure ligne de conduite disponible pour la justice à ce moment de l'histoire de l'Afghanistan. "Nous sommes confrontés à une crise mondiale et elle se manifeste à tous les niveaux : nous avons une crise sociale...une crise politique, une crise écologique...C'est une crise de guerres et de violence. Et donc, c'est la tâche de la société civile. Si nous ne parvenons pas, pour le moment, à vraiment changer la situation...alors la mémorialisation [doit être] l'une des tâches principales", a affirmé Thomas Seiber de Medico International. "Nous gardons la mémoire afin de la transmettre aux générations à venir, afin qu'elles puissent se connecter aux expériences que nous vivons."
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PHOTO : Avec l’aimable autorisation d’AHRDO.