Le Kenya continue d’être confronté aux séquelles des violations des droits humains. Les pires abus ont été perpétrés au lendemain de l’élection générale de 2007. L’ICTJ a établi un programme au Kenya en 2008 et depuis lors, il s’est concentré sur le renforcement des capacités des différents acteurs à poursuivre les responsabilités pénales, les réformes institutionnelles, la recherche de la vérité et les réparations.
Kenya
Contexte : L’histoire d’un échec à aborder les causes profondes de la violence
Les élections présidentielles et parlementaires de décembre 2007 au Kenya ont été précédées de profondes tensions politiques qui ont culminé dans une période de violence intense et de troubles politiques. Les allégations de fraude électorale se sont mêlées aux tensions ethniques et ont débouché sur des combats, des émeutes, des violations sexuelles et des effusions de sang. Les violences post-électorales ont provoqué environ 1100 morts, ainsi que de vastes destructions et déplacements de population.
En janvier 2008, les deux principaux partis politiques – le Parti de l’unité nationale du président sortant Mwai Kibaki et le Mouvement démocratique orange de Raila Odinga – ont convenu de négocier. Grâce à la médiation du Dialogue national de réconciliation du Kenya, dirigé par le regretté Dr Kofi Annan, les deux partis ont signé un pacte de paix et instauré une paix précaire. Ce pacte, généralement appelé Accord national, a ouvert la voie à l’établissement d’un gouvernement de coalition. Ses quatre points à l’ordre du jour prévoyaient la création des organes suivants :
- la Commission Vérité, Justice et Réconciliation (TJRC) pour enquêter sur les violations passées,
- la Commission d’enquête sur les violences post-électorales (CIPEV, ou Commission Waki),
- la Commission indépendante d’examen des élections (IREC) pour enquêter sur la crise,
- une révision constitutionnelle complète.
La Commission Waki et l’IREC ont terminé leurs travaux en septembre et octobre 2008. Leurs recommandations préconisaient, entre autres, les mesures suivantes :
- La création d’un tribunal spécial pour poursuivre les auteurs qui portent la « plus grande responsabilité » dans les violences post-électorales.
- Une réforme majeure des forces de police, notamment la fusion de la police administrative et des services de police kenyans, et le contrôle des antécédents de tous les agents.
Ces recommandations ont été partiellement appliquées. Une nouvelle constitution a été adoptée en août 2010 et certaines réformes ont été instituées, notamment au sein du système judiciaire et de la police.
Mais le rythme des réformes a été lent. La TJRC, créée en 2008, a remis son rapport final au président en mai 2013. Le tribunal spécial proposé n’a jamais vu le jour : le projet de loi a été rejeté par le Parlement en février 2009. En réaction, en mars 2010, la Cour pénale internationale (CPI) a annoncé l’ouverture d’une enquête sur les violences post-électorales au Kenya. Le 8 mars 2011, la CPI a délivré des citations à comparaître à six personnes – Mohamed Hussein Ali, Uhuru Kenyatta, Henry Kosgey, Francis Muthaura, William Ruto et Joshua Sang – pour crimes contre l’humanité. Les poursuites contre quatre suspects ont été confirmées en janvier 2012, mais toutes les affaires ont depuis été retirées ou annulées. Deux de ces suspects, Kenyatta et Ruto, se sont présentés à l’élection présidentielle de mars 2013 et ont réussi à se faire élire aux deux plus hautes fonctions de l’État. Kenyatta est devenu le deuxième chef d’État en exercice, après le Soudanais Omar el Béchir, à faire l’objet d’une mise en accusation par la CPI.
Le rôle de l’ICTJ
- L’ICTJ n’a cessé d’exhorter les autorités kenyanes à mettre en place un mécanisme national de poursuites crédible, transparent et responsable. Il soutient la proposition de créer une Division des crimes internationaux digne de foi et a aidé à faire avancer cette proposition. Nous avons fourni une assistance technique à divers acteurs locaux sur la documentation des violations des droits de l’homme et sur l’affaire pénale récemment conclue concernant des crimes sexuels et sexistes pendant les violences post-électorales.
- L’ICTJ a fourni une assistance technique et une observation dans le cadre du filtrage de la magistrature. Il soutient les efforts de plaidoyer des organisations locales sur les réformes de la justice et de la police. Nous apportons une assistance technique aux institutions concernées et aux organisations de la société civile afin de renforcer leur capacité à entreprendre et appliquer des réformes crédibles. Nous avons soutenu l’élaboration d’un cadre juridique et politique pour les réformes et continuons à produire des notes d’orientation pour les principaux ministères, la société civile et d’autres personnes concernées par les réformes du secteur judiciaire et de la sécurité.
- L’ICTJ a aidé les Kenyans à faire pression et réussir à obtenir des amendements aux dispositions d’amnistie dans le projet de loi établissant la TJRC. Nous avons joué un rôle de premier plan en parvenant à pousser le président de la TJRC, l’ambassadeur Bethuel Kiplagat, à démissionner suite à de graves allégations à son encontre sur son implication passée dans des violations des droits de l’homme ; lorsqu’il s’est retiré –quoique temporairement –, nous avons offert un soutien technique à la commission. Après plusieurs prolongations, la TJRC a publié son rapport final en mai 2013. Bien que le rapport n’ait pas été juridiquement adopté, ses recommandations continuent d’être appliquées progressivement. Nous contribuons à faire avancer le programme de recherche de la vérité à partir de zéro en renforçant la capacité des organisations locales et de victimes à faire pression pour l’adoption et l’application complètes des recommandations de la TJRC.
- L’ICTJ a étudié en profondeur les besoins de réparation des victimes de violations des droits de l’homme des années 1950 à 2008. Le rapport de l’ICTJ de 2011, « To Live as Other Kenyans Do : A Study of the Reparative Demands of Kenyan Victims of Human Rights Violations », a été influent et a éclairé les efforts de la société civile pour rédiger le cadre de réparations que la TJRC a intégré dans son rapport. Nous avons également fourni une expertise technique et soutenu les acteurs gouvernementaux et non gouvernementaux dans la rédaction d’un cadre juridique et politique pour les réparations.